L’intelligence artificielle n’est plus un sujet d’expérimentation : c’est un sujet de transformation. Et pour la première fois depuis deux décennies, cette transformation ne touche pas uniquement la productivité : elle redessine les contours mêmes du travail. Partout dans le monde, les dirigeants admettent désormais que l’IA conduit à des arbitrages RH. Licenciements, gel de recrutements, réallocation de tâches… Mais derrière les craintes, une réalité s’impose : celle d’une recomposition.
Dans les comités de direction comme dans les services RH, on ne parle plus d’expérimentation mais d’arbitrage. Derrière les discours rassurants, une réalité s’impose : l’IA recompose l’emploi. Mais faut-il en avoir peur, ou au contraire y voir l’opportunité de repenser le travail pour le rendre plus intelligent, plus humain et plus durable ?
L’heure des arbitrages : le travail à l’épreuve de l’IA
Le constat est désormais documenté : selon le BSI Global Workforce Report 2025, 4 dirigeants sur 10 reconnaissent utiliser l’intelligence artificielle pour réduire leurs effectifs, et un tiers affirment qu’ils « évaluent l’usage de l’IA avant tout recrutement ».
Autrement dit, le réflexe “automation first” s’installe.
Mais contrairement aux craintes des années 2010, l’IA ne fait pas disparaître des métiers entiers. Elle démonte les postes pour en redistribuer les tâches : certaines sont automatisées, d’autres sont augmentées, d’autres encore deviennent plus stratégiques.
C’est ce que résume l’OCDE : “L’IA ne détruit pas massivement les emplois, elle transforme la nature du travail.”
Le changement est donc moins quantitatif que qualitatif. Et cette recomposition touche en priorité les emplois dits “cognitifs” (communication, marketing, finance, support client, data) là où l’automatisation est devenue aussi rapide que précise.
Dans le monde : un choc d’efficacité, mais pas une crise de l’emploi
Les chiffres du Forum Économique Mondial sont éloquents : d’ici fin 2025, 85 millions de postes devraient disparaître, mais 97 millions de nouveaux emplois émergeront, souvent hybrides, mêlant expertise humaine et pilotage algorithmique.
Partout dans le monde, les entreprises qui adoptent l’IA ne le font plus pour “aller plus vite” : elles cherchent à recomposer leurs chaînes de valeur autour de la donnée et de la décision augmentée.
Les nouveaux métiers se multiplient :
AI Product Owner pour piloter les cas d’usage,
Prompt Engineer pour concevoir les interactions,
AI Ops pour intégrer les modèles dans les systèmes métiers,
Data Steward pour garantir la qualité des données,
ou encore AI Ethics Manager pour encadrer les usages.
Ces fonctions n’existaient pas il y a trois ans. Elles illustrent une évolution comparable à celle du digital dans les années 2000 : une transition silencieuse mais irrésistible, qui redéfinit les rôles et la valeur ajoutée de chacun.
En France : entre prudence et pragmatisme
En France, la bascule s’opère à un rythme plus mesuré. D’après Mister IA (2025), un dirigeant sur deux admet avoir gelé ou ajusté ses recrutements à cause de l’IA. Pourtant, les entreprises qui l’adoptent activement sont celles qui recrutent le plus dans les fonctions digitales et data.
Les chiffres de l’Insee le confirment : les entreprises ayant investi dans la transformation numérique affichent une croissance nette de l’emploi, portée par de nouveaux besoins en supervision, analyse et gouvernance. En France, l’IA ne supprime pas encore des emplois. Elle réoriente les compétences et accélère la mutation du travail.
Les DRH, souvent en première ligne, doivent donc gérer cette double tension :
accompagner l’automatisation sans déstabiliser le climat social,
et préparer les salariés à des métiers qui n’existent pas encore.
Les signaux faibles qui deviennent forts
Trois grandes tendances se dessinent :
1. Les tâches à faible valeur cognitive disparaissent
Là où les entreprises parlaient autrefois “d’optimisation”, elles parlent désormais “d’automatisation”.
Les fiches produits sont rédigées par IA, les requêtes clients pré-traitées, les briefs marketing générés en quelques secondes.
L’humain reste présent, mais au contrôle, pas à la production.
2. Les coéquipiers IA s’imposent
Le modèle n’est plus “l’IA remplace”, mais “l’IA assiste”.
Les collaborateurs disposent de copilotes qui suggèrent, reformulent, analysent. L’humain conserve la décision, mais avec une puissance d’exécution décuplée.
3. Le pilotage RH devient algorithmique
Les directions RH utilisent désormais des outils d’IA pour analyser la charge de travail, identifier les tâches répétitives, anticiper les compétences clés.
Le management devient data-driven, un tournant culturel majeur.
Un cadre social et légal à maîtriser
La France dispose de deux garde-fous essentiels pour encadrer cette mutation.
Consultation du CSE
Le Code du travail (article L2312-8) impose la consultation du CSE dès qu’une technologie modifie les conditions de travail.
Autrement dit, déployer un agent conversationnel, un générateur de contenu ou un outil d’analyse de performance sans en informer les représentants du personnel expose à des recours juridiques.
Même un test pilote doit être encadré.
Négociation GEPP (ex-GPEC)
Les entreprises de plus de 300 salariés doivent négocier la Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels pour anticiper les évolutions de compétences.
C’est le cadre idéal pour construire des passerelles métiers : de rédacteur à responsable contenus augmentés, de support client à superviseur IA, etc.
Anticiper la recomposition : trois leviers d’action pour les dirigeants
A. Cartographier les tâches, pas les postes
La question n’est pas “quel métier va disparaître ?” mais “quelles tâches peuvent être automatisées ?”.
L’entreprise doit se doter d’une IA-ability map recensant :
les tâches à automatiser,
celles à augmenter,
celles à conserver strictement humaines.
Chaque métier devient alors un assemblage de fonctions évolutives.
Le pilotage par la tâche, non par le poste, est la clé d’une stratégie RH agile et lucide.
B. Structurer la gouvernance de l’IA
Déployer l’IA sans gouvernance, c’est créer du chaos.
Les entreprises les plus avancées ont mis en place un comité IA réunissant direction générale, DRH, DPO, CDO et experts data.
Leur rôle : définir les priorités, sécuriser les usages, suivre la performance et garantir la conformité RGPD et éthique.
Une charte interne formalise ensuite les règles d’usage et de validation humaine.
C. Miser sur la compétence comme levier de performance
Former les collaborateurs n’est pas une option, c’est une condition de survie.
Le Boston Consulting Group (2025) montre que les entreprises ayant formé plus de 50 % de leurs effectifs aux usages IA ont créé jusqu’à trois fois plus de valeur.
Les priorités de formation sont claires :
Comprendre les modèles et leurs limites,
Maîtriser le prompting responsable,
Savoir évaluer la qualité des résultats,
Anticiper les enjeux éthiques et juridiques.
Dans le digital et l’e-commerce, ces compétences sont déjà différenciantes.
Focus e-commerce : la recomposition en marche
Le commerce en ligne illustre mieux que tout ce basculement vers l’IA. Selon KPMG & FEVAD (2025), 97 % des dirigeants e-commerce considèrent l’IA générative comme la technologie la plus prometteuse à horizon trois ans.
Les cas d’usage se multiplient :
Contenus et SEO : génération assistée de fiches produits, balises et traductions multilingues.
CRM & fidélisation : segmentation prédictive, emails personnalisés, triggers automatisés.
Service client : copilotes pour les conseillers, détection d’intentions, escalade automatique.
Supply chain : prévisions de stock, alertes logistiques et pricing dynamique.
Ces applications libèrent du temps, mais surtout redéfinissent les métiers.
Le rédacteur devient contrôleur qualité, le CRM manager devient architecte d’automations, le conseiller client devient expert relationnel.
L’enjeu n’est donc pas de “faire avec moins de monde”, mais de faire autrement avec plus de valeur.
DG et DRH : un tandem à réinventer
La transformation par l’IA ne réussit pas dans les entreprises où l’on oppose performance et humain, mais dans celles où l’on réaligne la direction générale et la direction RH.
Le DG fixe le tempo, priorise les investissements, assume les choix d’automatisation et de formation.
Le DRH sécurise le terrain social, anticipe les évolutions de compétences et accompagne la montée en puissance des équipes.
Ce binôme devient le moteur de la transformation responsable. Un DG sans DRH construit des algorithmes. Un DRH sans DG subit la technologie. Ensemble, ils peuvent créer de la valeur et du sens.
L’histoire du travail a toujours été celle des outils. Mais rarement un outil n’a posé à ce point la question du rôle de l’humain. L’IA ne remplace pas l’intelligence, elle redistribue la responsabilité.
Les entreprises qui gagneront cette bataille ne seront pas les plus technophiles, mais les plus lucides : celles qui sauront décider ce qu’elles veulent confier à la machine, et ce qu’elles veulent préserver pour l’humain.
L’enjeu n’est pas d’éviter la recomposition, mais de la piloter. Et dans cette recomposition, le véritable capital reste, plus que jamais, le talent humain.
FAQ - Toutes les questions sur l'IA et les emplois en France
Non, pas massivement. Elle remplace surtout des tâches à faible valeur cognitive. La majorité des emplois évoluent ou se recomposent.
Les métiers d’exécution (support client, communication, data entry, assistant marketing) mais aussi certains rôles analytiques juniors.
L’e-commerce, le marketing et la data sont les premiers terrains d’application, avec des gains importants sur la production de contenu, la personnalisation et le pilotage de la performance.
En cartographiant les tâches automatisables, en formant leurs collaborateurs et en créant un cadre de gouvernance claire de l’IA (charte, comité, KPI).
Le CSE doit être informé et consulté avant tout déploiement d’une nouvelle technologie affectant les conditions de travail, et la GEPP (ex-GPEC) doit être actualisée pour accompagner les évolutions de métiers.
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