Et si la livraison gratuite était le poison du e-commerce ?
Longtemps considérée comme un levier incontournable pour convertir, la livraison gratuite est aujourd’hui remise en question. Et si elle était devenue une arme à double tranchant pour les marques e-commerce, entre marges sacrifiées, logistique sous tension et clients déresponsabilisés ?
La livraison gratuite : un standard devenu toxique ?
En 2025, proposer la livraison gratuite semble être la norme absolue dans la majorité des sites e-commerce. Les plateformes l’affichent fièrement, les comparateurs la valorisent, les consommateurs l’exigent… mais à quel prix ?
87 % des acheteurs en ligne affirment que la gratuité de la livraison influence leur décision d’achat (source : FEVAD 2024).
70 % des abandons panier sont dus à des frais de livraison ajoutés tardivement (source : Baymard Institute).
Face à ces chiffres, les marchands cèdent souvent à la pression. Pourtant, cette stratégie n’est ni neutre pour leurs marges, ni sans conséquences sur l’expérience globale ou l’environnement.
Un levier qui grève les marges… et brouille la valeur
La gratuité a un coût – que le marchand assume intégralement ou tente de dissimuler dans le prix du produit.
Prenons un exemple concret :
Une entreprise vend un produit à 40 € avec 6 € de coût de livraison. Si elle absorbe ce coût pour booster la conversion, sa marge peut fondre de 15 à 25 %, selon son modèle économique.
Cette mécanique :
compresse les marges unitaires, déjà mises sous pression par les coûts d’acquisition et les retours ;
rend difficile la rentabilité des petits paniers moyens ;
crée une dépendance psychologique chez le client, qui n’est plus prêt à payer ce qui a pourtant un coût logistique réel.
Un choix désastreux pour la planète (et la marque)
Proposer la livraison gratuite, c’est aussi encourager une consommation sans conscience :
Commandes multiples et éparpillées (un t-shirt aujourd’hui, des chaussettes demain).
Taux de retour explosif, en particulier dans la mode (près de 40 % dans certains segments).
Empreinte carbone accrue avec des tournées de livraison peu optimisées.
De plus en plus de consommateurs sont sensibles à ces sujets. Ne pas en parler, c’est passer à côté d’un enjeu d’image fort.
Et pourtant… des marques choisissent une autre voie
Certaines marques montrent qu’un autre modèle est possible, plus durable et plus rentable à long terme.
🔹 Loom : transparence radicale
« La livraison gratuite n’existe pas. Elle est toujours payée, soit par le client, soit par la planète. »
Loom a volontairement supprimé la gratuité en dessous de 100€ d’achat en expliquant les raisons économiques et écologiques. Résultat : pas de chute de conversion, mais une meilleure adhésion des clients engagés.
🔹 Kazidomi : le modèle « membre »
Sur le modèle d’Amazon Prime, Kazidomi propose un abonnement annuel (80€/an) pour accéder à des prix réduits + la livraison gratuite à partir de 69 € d’achat. Une stratégie de récurrence rentable, qui fidélise et lisse les coûts logistiques.
🔹 Asphalte : livraison payante mais valorisée
Asphalte ne propose pas systématiquement la gratuité, mais mise sur la qualité de la relation client, le précommande, la durabilité. Le client n’est pas pris pour un acheteur opportuniste, mais pour un partenaire de la marque.
Quelles alternatives stratégiques à la gratuité ?
Si abandonner totalement la livraison gratuite n’est pas envisageable dans tous les cas (notamment en B2B), voici des options réalistes pour en réduire la nocivité :
1. L’offrir, mais intelligemment
Seuil pertinent : à partir de 65 € ou 80 € (au-dessus du panier moyen).
Sur certaines zones ou périodes (événements, relances).
Uniquement en point relais, plus écologique et moins coûteux.
2. L’intégrer dans un modèle d’abonnement
Système de fidélité premium (à la Amazon/Kazidomi).
Club de clients VIP avec avantages exclusifs.
3. La rendre payante, mais explicable
Transparence sur les coûts réels : logistique, emballage, transport.
Choix entre plusieurs options : rapide (payant) vs. standard (moins cher voire gratuite).
Valorisation du geste : “Votre contribution de 3,90€ aide à construire une logistique plus responsable.”
En B2B aussi, la réflexion s’impose
Dans l’e-commerce B2B, la livraison gratuite est souvent un argument commercial historique, d’autant que la logistique a un impact sur la satisfaction des clients professionnels. Pourtant :
Elle n’est pas toujours perçue comme une exigence si les délais et la qualité logistique sont au rendez-vous.
Certaines entreprises préfèrent une facturation claire, avec des frais logistiques détaillés, plutôt qu’une gratuité illusoire intégrée aux prix.
Dans un contexte de rationalisation des achats pros, revenir à une logique de facturation juste peut être un argument de confiance.
Repenser la “gratuité” pour retrouver de la valeur
Et si la livraison gratuite n’était plus un avantage mais un piège marketing hérité d’une époque révolue ? Si elle détruisait plus de valeur qu’elle n’en créait ? La question mérite d’être posée.
Les marques les plus résilientes de demain seront peut-être celles qui oseront :
Réconcilier performance et responsabilité,
Faire preuve de pédagogie,
Et redonner un prix juste aux services qu’elles offrent.
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